ÉDITIONS DÉISIS

LE CHANT BYZANTIN EN FRANÇAIS

NOTRE HISTOIRE


Les orthodoxes francophones disposent à présent dans leur langue, de plusieurs traductions des textes de toute l’année liturgique. Le patient travail du père Panteleimon Noussis, de son épouse et de nombreux collaborateurs, car beaucoup d’anonymes ont œuvré ensemble, chacun selon sa compétence, apporte une nouveauté importante dont nous avions besoin et qui correspond à la maturation de l’Église orthodoxe contemporaine en Europe occidentale. Nous attendions en effet une traduction plus littérale, plus fidèle aux nuances théologiques présentes dans les textes grecs et slavons. 

    L’Office Divin exprime la foi de l’Église autant qu’elle nourrit celle des fidèles. Il convient alors que les traductions soient aussi fidèles que possible à l’original. Cela permet au service liturgique de manifester pleinement sa dimension universelle et éternelle, d’être une Révélation de la présence divine dans l’Église et dans le cœur de chacun des fidèles, et d’être une authentique initiation à la transfiguration du cosmos et de nos personnes, ainsi qu’une communion à la vie divine en même temps qu’à toutes les personnes humaines, en Christ. Par exemple il n’est pas égal de parler de « vérité » ou de « la vérité », de « justice ou de « la justice » ; vérité et justice sont des qualités humaines alors que « la vérité » et « la justice » sont des manifestations des aspects de la Vie divine, auxquelles les services liturgiques nous initient.

    Dans cette perspective, nous aurions parfois préféré plus d’audace encore, par exemple en élidant certains verbes lorsque cela se fait en grec et que le français le permet. Quand l’Église s’exclame : « Gloire à la Sainte, consubstantielle, indivisible et vivifiante Trinité ! » ou « Paix à tous ! » en élidant le verbe « être », elle appelle, en même temps qu’elle réalise, ce qu’elle nomme. Il pourrait en être de même dans l’expression telle « Béni le règne… » (Divine Liturgie). Ajouter le verbe être, qui n’existe pas en grec, oblige soit à dire « béni est le Règne… » – ce qui à l’avantage de montrer comment cela est déjà réalisé mais exclut tout aspect eschatologique, ou de dire « bénit soit… », mais alors on opte pour ce qui doit se réaliser et on escamote le fait que c’est en même temps déjà là. L’élision du verbe être, conformément au grec, permettrait de conserver simultanément les deux aspects. C’est sans doute l’un des cas où une catéchèse explicative serait indispensable.

    Par nos mauvaises habitudes de langage, le français perd la capacité d’évocation des mots qu’il utilise, lesquels s’affadissent et se banalisent. C’est ainsi que la « charité » devient un acte moral et non plus l’amour à l’image de celui dont Dieu nous gratifie (agapé), par opposition à l’amour sensuel (éros). La présente traduction s’attache, autant que faire se peut, de garder les transcriptions françaises de mots grecs, lorsqu’ils existent et qu’ils conservent le sens approprié. Ainsi les traducteurs préfèrent utiliser le terme « philanthrope » pour le grec « philanthropos », attribué à Dieu, plutôt que « ami des hommes » dont la connotation est trop affective, ou « ami de l’homme » qui ne rappelle que trop une secte du même nom. 

    On prétend souvent que la langue française n’est ni poétique ni théologique. C’est faux ! En conservant la prononciation de « e » prétendus muets, mais en insistant sur l’accent tonique (car il en existe) de l’avant dernière syllabe des mots, et en faisant les liaisons appropriées, comme il est coutume de faire en versification, le français retrouve toute sa poésie, son harmonie et son rythme. Il en va de même pour la théologie du vocabulaire, si nous utilisons les termes que les Pères de l’Église ont employés, et à leur suite toute la Tradition, sans chercher à « moderniser » la terminologie religieuse afin qu’elle soit comprise par tous. Nous apprenons bien le langage abscond des hôpitaux et des informaticiens lorsque nous sommes confrontés à la maladie ou à Internet ! 

Le langage de l’âme nous serait-il plus hermétique ? Peut-être, cependant, est-il parfois l’occasion - ou le prétexte - d’une catéchèse ou d’une homélie fort utiles. Le mot grec « économia » expliqué se traduit plus précisément par « économie divine » que par « plan divin du salut », ce qui n’est pas du tout la même chose !

    Le père Pantéleimon a entamé ce lourd travail à la suite de demandes qui lui ont été communiquées par quelques paroisses et communautés monastiques. Cette traduction répond donc à un besoin. Celui de la langue n’est pas le seul. Il y a celui de la musique.

    La musique byzantine est plus répandue dans nos pays qu’on ne se plaît à le dire. Pour beaucoup,  dont les oreilles sont plus habituées aux mélodies inspirées par la musique occidentale polyphonique issues de la Renaissance et de l’époque baroque, la psaltique byzantine semble « orientale » et austère. Elle n’est certainement pas orientale  sauf quand les « Orientaux » l’ont adoptée et interprétée ; mais elle est incontestablement austère. Comme, d’ailleurs,  le sont nos chères icônes, au regard des peintures à thèmes religieux, mais humains, des époques que nous évoquions ci-dessus. Au demeurant, elle est  moins austère que sacrée : elle est « ascétique » ce qui est différent ; elle est le langage de l’esprit et non celui du sentiment ; elle parle à l’âme mais pas à l’émotionnel, même quand cette faculté s’en trouve ravie avec la totalité de la personne, esprit, âme et sens - ce qui arrive à qui prend conscience de sa communion à Dieu et à tous ses frères, hors du temps, au-delà de l’espace, en Christ.  Elle est l’écho humain du chant des anges, mais non celui des angelots joufflus et potelés des retables; elle n’est pas une décoration, mais un langage et une révélation : comme la Prière. En un mot elle est un sacrement, comme le sont l’Icône et la Sainte Écriture.

    Grec de naissance et enfant à Ioannina, études et carrière apostolique en Belgique, marié à une diplômée de Lettres Anciennes, entouré de philologues qui prennent part à cette traduction comme à la vie de l’Église locale dans leur paroisse, le père Pantéleimon était la personne appropriée pour accomplir ce travail qui nécessite une parfaite connaissance du grec autant que du français, non moins que de la musique byzantine et de la sensibilité occidentale. Ils se sont ainsi attachés à calquer les mélodies traditionnelles au sens des mots et des phrases, en conservant les rythmes et les modulations de l’original grec. C’est une performance. Cet exploit a été vérifié et apprécié, notamment au cours d’un séjour à la Sainte Montagne de l’Athos, où les moines grecs chantaient les tropaires dans leur langue en même temps que les francophones les chantaient dans la leur. Je dois encore ajouter que les membres les plus assidus du chœur de la paroisse de Peronnes-lez-Binche et notre monastère de la Transfiguration, entre autres, utilisent depuis longtemps ces textes et ces mélodies pour les essayer, les rôder et les policer. Si « la perfection n’est pas de ce monde » et donc, si ce travail est perfectible, les résultats nous procurent cependant beaucoup de satisfaction et ont occasionné une nouvelle profondeur à notre prière et à notre contemplation de « l’économie divine » et nous espérons que beaucoup y puiseront aussi la chaleur qui est nécessaire à leur louange. 

    Nous en rendons grâces à Dieu et en remercions, félicitons et encourageons le père Pantéleimon et son équipe, qui bénéficient du soutien de son Excellence le Métropolite, Panteleimon de Belgique, dont dépend la paroisse des saints Anargyres où œuvre le père Pantéleimon,  ainsi que de l’encourageante bénédiction de sa Sainteté le Patriarche de Constantinople, Bartholomée.

                        

Monastère de la Transfiguration. 

En la fête de la Protection de la Sainte Théotoque 

Le 1er octobre 2006

© Éditions Saints Anargyres